Le poteau noir
Personnages : 2 femmes
L’avion du professeur Vignacq, le célèbre neuro chirurgien, a disparu dans le Pot-au-noir.
Bénédicte, jeune psychologue, doit prendre en charge les proches des passagers. Parmi eux, Solange Vignacq, l’épouse du professeur. Mais est-ce vraiment la disparition de son mari qui traumatise Solange ?
Pot-au-noir : nom donné par les marins à une zone réputée très dangereuse pour la navigation. Des brumes opaques obscurcissent l’horizon. Des averses d’une rare violence peuvent y survenir brusquement après des semaines de
calme et surprendre le voyageur imprudent.
Un pot-au-noir désignait au dix-neuvième siècle une situation peu claire et dangereuse.
Le poteau noir a été créé l'Espace 44 dans une mise en scène d'André Sanfratello avec :
Annie Claude Sauton : Solange
Sandrine Bauer : Bénédicte
Extrait
SOLANGE
Il devait prendre le vol de huit heures treize. Mais je l’ai mis en retard. J’ai oublié sa chemise. Je le sais bien, pourtant. Sa chemise porte bonheur. Le taxi était là. Il a ouvert la porte et il a dit : « au fait, ma chemise gri-gri, elle
est dans la valise? ». C’est mon frère Jacques qui lui a offert. Une chemise en soie gris clair avec les manches en gris foncé. Il la portait quand Bretonneau l’a mis à la tête du service. Et quand on l’a appelé pour opérer cette alpiniste. Il dit qu’elle porte chance. Comme elle a deux nuances de gris, il l’appelle sa chemise gris-gris, c’est drôle, vous ne trouvez pas ? Il a de l‘humour, mon mari. La soie, c’est joli mais c’est dur à repasser. C’est fragile, ça brûle comme un rien. Et moi, j’ai jamais été bien douée. Je n’ai pas eu le temps de finir les manches. Le taxi s’est mis à klaxonner. Paul a dévalé l’escalier, sa valise dans une main, sa chemise gri-gri dans l’autre. Et il a pris
le vol de dix heures quarante sept.
C’est Jacques qui m’a prévenue. Moi, je n’écoute jamais les infos. Dis, Solange - je m’appelle Solange, Sol et Ange, vous n’avez pas lu Montherlant ?
Rassure-moi, Solange, le vol de Paul, c’est pas celui de dix heures quarante sept ?
Si. Parce que je ne suis même pas fichue de repasser une chemise. Mon frère m’a emmenée à l’aéroport. Son œil droit clignait sans arrêt. Il avait déjà ce tic quand on était gamins. Impossible de cacher quand il faisait une bêtise. Papa savait tout de suite. Il y avait juste un mot sur le tableau d’affichage : retardé. Sinon, tout était normal, d’après Jacques. Moi, je ne sais pas, je ne vais jamais à l’aéroport. Paul a horreur des adieux larmoyants et moi, je chougne pour un oui, pour un non. Jacques est allé se renseigner et vous m’avez emmenée ici pour m’expliquer mais je ne comprends pas, non, je ne comprends pas. Je ne comprends pas comment un avion peut disparaître.
BENEDICTE
Il était dans une zone un peu particulière.
SOLANGE
Le triangle des Bermudes ?
BENEDICTE
Non. Les marins la connaissent depuis le dix-huitième siècle. Ils l’appellent le pot-au-noir.
SOLANGE
Qu’est-ce que vous avez dit ?
Il devait prendre le vol de huit heures treize. Mais je l’ai mis en retard. J’ai oublié sa chemise. Je le sais bien, pourtant. Sa chemise porte bonheur. Le taxi était là. Il a ouvert la porte et il a dit : « au fait, ma chemise gri-gri, elle
est dans la valise? ». C’est mon frère Jacques qui lui a offert. Une chemise en soie gris clair avec les manches en gris foncé. Il la portait quand Bretonneau l’a mis à la tête du service. Et quand on l’a appelé pour opérer cette alpiniste. Il dit qu’elle porte chance. Comme elle a deux nuances de gris, il l’appelle sa chemise gris-gris, c’est drôle, vous ne trouvez pas ? Il a de l‘humour, mon mari. La soie, c’est joli mais c’est dur à repasser. C’est fragile, ça brûle comme un rien. Et moi, j’ai jamais été bien douée. Je n’ai pas eu le temps de finir les manches. Le taxi s’est mis à klaxonner. Paul a dévalé l’escalier, sa valise dans une main, sa chemise gri-gri dans l’autre. Et il a pris
le vol de dix heures quarante sept.
C’est Jacques qui m’a prévenue. Moi, je n’écoute jamais les infos. Dis, Solange - je m’appelle Solange, Sol et Ange, vous n’avez pas lu Montherlant ?
Rassure-moi, Solange, le vol de Paul, c’est pas celui de dix heures quarante sept ?
Si. Parce que je ne suis même pas fichue de repasser une chemise. Mon frère m’a emmenée à l’aéroport. Son œil droit clignait sans arrêt. Il avait déjà ce tic quand on était gamins. Impossible de cacher quand il faisait une bêtise. Papa savait tout de suite. Il y avait juste un mot sur le tableau d’affichage : retardé. Sinon, tout était normal, d’après Jacques. Moi, je ne sais pas, je ne vais jamais à l’aéroport. Paul a horreur des adieux larmoyants et moi, je chougne pour un oui, pour un non. Jacques est allé se renseigner et vous m’avez emmenée ici pour m’expliquer mais je ne comprends pas, non, je ne comprends pas. Je ne comprends pas comment un avion peut disparaître.
BENEDICTE
Il était dans une zone un peu particulière.
SOLANGE
Le triangle des Bermudes ?
BENEDICTE
Non. Les marins la connaissent depuis le dix-huitième siècle. Ils l’appellent le pot-au-noir.
SOLANGE
Qu’est-ce que vous avez dit ?